Gustave
Gobron était un homme courageux, mais je laisse la parole à sa femme
Suzanne pour raconter l'exploit de ce jeune homme de 24 ans pendant
le siège de Paris en 1870.
" …Mais voilà que Gambetta grand ami de la maison vient y faire
un séjour : Vautré dans un fauteuil, car on peut le dire ce grand homme
qui si fin causeur, si spirituel était de corpulence commune et de gestes
également, sauf à la tribune, où orateur né, rejetant ses cheveux en
arrière, le masque superbe d'intelligence et de fougue, il semblait
un autre lui même. Il fixa attentivement mon mari, puis tout à coup
: " Mais je le connais ce petit-là, c'est lui qui en 1870 m'a apporté
les dépêches du gouvernement ! Té, (il avait terriblement l'accent du
midi), je ne l'ai donc point reconnu, où avais-je la tête "? Puis pendant
que celui qui était sur la sellette s'esquivait, il nous raconta l'odyssée.
Étant lieutenant mon mari était parti de Paris assiégé en ballon avec
des dépêches importantes pour l'assemblée nationale, qui se tenait à
Bordeaux. Un vent soufflait en tempête. Quand le ballon fut lâché, il
rasa un moment les toits et les cheminées pendant que les Prussiens
tiraient sur lui. Mon mari jeta du lest, le ballon piqua vers le ciel
et partit définitivement en vitesse pour arriver cinq heures après en
Hollande. La descente fut périlleuse, car mon mari ayant la mer à proximité
éventra son ballon d'un coup de couteau pour atterrir plus vite et éviter
la chute dans l'eau, ce qui était une mort certaine. Celui-ci tomba
comme une masse. Traîné par les pieds, la tête rebondissante sur le
sol, il avait cependant eu le temps, en voyant venir une troupe de paysans,
de prendre connaissance du texte des dépêches et de les détruire en
menus morceaux. Les paysans, croyait-il, parlaient allemand et sa capture
ne faisait aucun doute. Heureusement, il n'en était rien et le soir
même il quittait la Hollande pour Bordeaux où il arriva exténué, souffrant
de ses blessures. Son courage, son sang-froid lui valurent la légion
d'honneur, qui lui fut décernée séance tenante. Il avait à peine vingt-quatre
ans !
"C'est un bougre de brave petit français, continua Gambetta, et
il a bien fait d'épouser une Alsacienne !" Mon père était sorti
du salon et c'est en riant et tenant le délinquant par l'oreille qu'il
y rentra. - Tu ne nous avais jamais raconté ça, et moi qui louchais
d'un mauvais œil sur ta décoration… Mon mari souriait de son petit air
moqueur. Moi je me disais : " Il est bien trop content de les mettre
dedans avec sa décoration qui sentait le parisien boulevardier à plein
nez, pour leur raconter ses prouesses. Car je vous avais déjà dis, mon
mari était un farceur…"
Voici
donc l'épopéé de mon arrière grand-père
qui, une fois en Hollande rejoignit l'armée du Général
Chanzy avant d'atteindre Bordeaux où il put remettre les précieux
documents.
Sources
:
- Albert Meyrac. Géographie illustrée des Ardennes. Seconde
édition.Librairie Guénégaud. 1965
- Mémoires de Suzanne Gobron dite Suzel. Archives familiales

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