En 1792 Goethe à
43 ans, il suit les troupes de son ami le Duc de Weimar lors de l'invasion
de la France.
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et 5 octobre 1792
Le chemin que l'armée
avait pris menait à Buzancy, car on voulait passer la Meuse au-dessus
de Dun. Nous campâmes tout près de Sivry (à 3 kilomètres de Buzancy);
nous n'avions pas encore tout dévoré dans ses environs. Le soldat se
jeta dans les premiers jardins et gâta ce qui aurait pu profiter à d'autres.
J'engageai notre cuisinier et ses gens à fourrager avec méthode; nous
fîmes le tour du village entier, et nous trouvâmes des jardins encore
intacts et une riche moisson, qui ne nous fut pas disputée. Il y avait
là des choux et des oignons, des carottes et d'autres plantes potagères
en abondance : nous n'en prîmes que dans la mesure de nos besoins, avec
modération et ménagement. Le jardin n'était pas grand, mais proprement
tenu. Avant que nous en fussions sortis à travers la haie, je me demandai
comment il se pouvait faire que, dans un jardin attenant à la maison,
on ne pût découvrir aucune trace d'une porte de communication avec le
bâtiment voisin. Quand nous revînmes avec notre butin, nous entendîmes
un grand bruit devant le régiment. Un cheval, qui avait été mis en réquisition
dans le voisinage vingt jours auparavant, avait échappé à son cavalier.
Il avait emporté le pieu auquel il était lié; le cavalier fut très malmené,
menacé, et on lui ordonna de ramener son cheval.
Comme on avait résolu de se reposer le 5 dans le pays, nous fûmes logés
à Sivry. Après tant de souffrances, nous trouvâmes délicieuse la vie
domestique, et nous pûmes encore observer, pour nous amuser et nous
distraire, le caractère homérique et pastoral des maisons champêtres
de France. On n'entrait pas immédiatement de la rue dans la maison :
on se trouvait d'abord dans un petit espace ouvert, carré, tel que la
porte elle-même le donnait; de là, on arrivait par la véritable porte
de la maison dans une chambre spacieuse, haute, destinée à la famille;
elle était carrelée de briques; à gauche, contre la longue muraille,
un foyer adossé au mur et reposant sur la terre; le conduit qui absorbait
la fumée surplombait. Après avoir salué les hôtes, on s'avançait avec
plaisir dans ce lieu, ou l'on voyait que la place de chacun était réglée
définitivement. A droite, près du feu, un haut coffret à couvercle,
qui servait aussi de siège. Il renfermait le sel, dont la provision
devait être gardée dans un lieu sec. C'était la place d'honneur, qu'on
offrait d'abord à I'étranger le plus marquant; les autres arrivants
s'asseyaient sur des sièges de bois avec les gens de la maison. Pour
la première fois je pus observer là exactement le pot-au-feu national.
Une grande marmite de fer était suspendue à un crochet, qu'on pouvait
élever et abaisser au moyen d'une crémaillère ; dans la marmite se trouvait
déjà une bonne pièce de bœuf avec l'eau et le sel, On y ajouta des carottes,
des navets, des poireaux, des choux et d'autres légumes.
Tandis que nous nous entretenions amicalement avec ces bonnes gens,
j'observais l'heureuse disposition du dressoir, de l'évier, des tablettes,
ou étaient rangés les pots et les assiettes, Tout cela occupait l'espace
allongé que le carré du vestibule ouvert laissait de coté intérieurement.
Tous les ustensiles étaient brillants de propreté et rangés en bon ordre;
une servante ou une sœur de la maison soignait tout parfaitement. La
mère de famille était assise près du feu, tenant un petit garçon sur
ses genoux; deux petites filles se pressaient contre elle. On mit la
table, on posa dessus une grande écuelle de terre, dans laquelle on
jeta du pain blanc coupé en petites tranches; le bouillon chaud fut
versé dessus, et l'on nous souhaita un bon appétit. Les jeunes garçons
qui dédaignaient mon pain de munition auraient pu m'adresser à ce modèle
" de bon pain et de bonne soupe ". Après quoi, on nous servit la viande
et les légumes, qui s'étaient trouvés cuits en même temps, et toute
personne aurait pu se contenter de cette simple cuisine.
(Extrait de
"Campagne en France" de Goethe traduit par Jacques Porchat,
Librairie Hachette Paris, 1891